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Dans la série d’articles sur le centre culturel de Valparaiso, j’ai été très élogieux sur de nombreux aspects du bâtiment. Mais il y a tout de même un point qui me gêne dans cette architecture : celui de faire sens.

 

« En fait ce qui est typique du mouvement moderne c’est cette générosité de l’espace. Corbu disait : « le vrai luxe, c’est l’espace ». Quand tu regardes, il y a une quantité de circulations et d’escaliers absolument phénoménale. Ce qui va bien finalement avec un programme de musée, ça donne beaucoup d’espaces intermédiaires où l’art peut s’exprimer, où les gens peuvent se rencontrer. Pourtant, quand on y regarde de plus près, le bâtiment est vide. Il est désespérément vide de visiteurs.

 

- Parce que c’est pas un musée c’est un centre culturel…

 

- Raison de plus ! Non seulement l’exposition échoue à servir d’appel au visiteur, mais tout le reste du bâtiment également… Aujourd’hui on est dimanche il est 12h30-13h, ça devrait être blindé, il devrait y avoir des gens de partout. Ce bâtiment a été réalisé en 2011, ça fait 6 ans, ils n’ont aucune excuse pour ne pas s’être appropriés les lieux, y’a vraiment des questions à se poser. Comment se fait-il que ça ne marche pas ?

- Moi j’ai le sentiment que le but de ce bâtiment n’est pas tant son utilité mais sa symbolique. Il s’agissait de faire un pendant symbolique à l’ancienne prison qui est de l’autre côté de la pelouse, qui est un symbole de la dictature. Ils voulaient un pendant « culture », pour marquer symboliquement la ville du sceau du changement…. Peut-être que sa fonction de centre culturel est un peu secondaire…

 

- Oui, mais je suis désolé, je trouve que ça fait cher le symbole. Le but fondamental d’un symbole c’est de renverser une dynamique. Un symbole qui n’existe que pour lui-même, c’est une coquille creuse, un acte vain. Pour moi on fait un bâtiment pour que ce soit un lieu de vie. C’est le deuxième pilier de l’Architecture chez Vitruve : « utilitas », après firmitas (la solidité) et avant « venustas » (la beauté). Et le bâtiment a beau être beau, s’il n’arrive pas à être utile, s’il n’arrive pas à être rassembleur il n’est rien. C’est pas seulement la faute de l’architecte, mais aussi celle des collectivités qui n’arrivent pas à mettre en place les dynamiques qui devraient être appropriées. Mais quand tu vois tous les efforts mis là-dedans, le budget de la construction qui a dû être faramineux, celui de l’entretien qui doit aussi pas mal peser dans le budget de la ville... Tout ça pour que ça soit utilisé par 4 touristes et que ça soit plus l’aménagement du parc à côté qui attire les gens ! Tu vois c’est dommage, c’est-à-dire qu’à un moment donné on n’a pas su cerner les réelles attentes des habitants pour un lieu donné. En tout cas ça fait au moins le plaisir des photographes d’architecture, qui font des photos très épurées, sans foule, totalement axées sur l’espace…

 

- D’un point de vue « marketing de ville », on peut s’interroger sur le choix d’une architecture moderne : les gens d’ici aiment vivre ici parce que c’est très différent de Santiago, parce que c’est justement un peu crado-créativo-bobo. Les touristes viennent ici pour voir de la tôle ondulée, des couleurs vives, des peintures murales, des graffes, cette culture street-art qui est vraiment muséifié sur les collines à côté. Or ce bâtiment c’est exactement l’inverse de ce pour quoi les gens sont venus ici… d’ailleurs t’as vu, il n'y avait que des français qui visitaient parce que ça nous parlait à nous dans notre langage architectural.

Ce problème, c’est la question du caractère. C’est-à-dire de trouver une archi qui fasse sens pour la communauté à laquelle elle s’adresse.

- En fait c’est un problème assez récurrent en architecture. Ce problème, c’est la question du caractère. C’est-à-dire de trouver une archi qui fasse sens pour la communauté à laquelle elle s’adresse. C’est là où beaucoup de bâtiments pèchent. Quand on parlait de la menuiserie façon moucharabié, à Santiago, là où c’est dommage, c’est que le moucharabié ne fait pas vraiment sens à Santiago, tu vois. De la même manière, est-ce qu’une architecture d’inspiration moderne, très épurée, sublime, très loin du pittoresque de la ville peut faire sens pour les habitants de Valparaiso ?

 

- C’est toujours mieux que le parlement en contrebas qui s’inspire du Taj-Mahal…

 

- Oui, c’est sûr tout est relatif… De l’autre côté, on peut aussi dire que c’est important qu’un bâtiment public à l’échelle de la ville marque une rupture avec le contexte urbain, pour qu’il puisse se démarquer. Il se doit d’être un signal, un repère. Mais toute la question est la manière dont ce signal est envoyé. Quand on regarde l’implantation du bâtiment, sa typologie –c’est-à-dire sa manière de fonctionner, il se positionne de manière très discrète. Adossé à la colline d’un côté, il est entouré de hauts murs de contreforts de l’autre. Rien ne te permet de le voir de loin, sauf quand tu es sur place, une fois que tu as déjà pris la décision de rentrer. Pour moi il aurait fallu faire exactement l’inverse : faire des rappels du contexte à l’échelle de l’architecture et des usages, mais créer une rupture de typologie plus significative à l’échelle de la ville. Alors, bien entendu, c’est facile à dire comme ça, et face à un site existant, une topographie très contrainte, tout un contexte historique sous-jacent, c’est clair que c’est nettement moins évident. Mais la sanction de la société reste immédiate : ce lieu qui était le symbole de la torture sous la dictature est toujours déserté aujourd’hui.

- Peut-être qu’il faut laisser du temps pour que les Chiliens arrivent à tourner la page.

- Peut-être, mais à mon avis c’est pas la seule explication de cet échec. Ce choix de caractère, là où pour moi il ne marche pas, c’est qu’il est trop en opposition avec l’esprit de Valparaiso. Quand tu fais un bâtiment entièrement en béton brut dans la capitale du graffiti, que va-t-il se passer ? On ne peut aller qu’au choc des cultures. On en voit la conséquence directe dans le fonctionnement du bâtiment : la terrasse avec vue imprenable sur la mer, qui devrait être le clou du bâtiment, est . Comme ça on évite tout débordement et dégradation. Moi j’appelle ça se tirer une balle dans le pied. Autre conséquence : tout le site est entouré de murs et de barrières de plusieurs mètres de haut. Donc tu vois dans l’idée, voilà ce que c’est de jouer contre une dynamique naturelle : ça demande beaucoup d’efforts pour un résultat toujours décevant. Quand au contraire, tu travailles dans le même sens qu’une dynamique, le résultat est toujours bien au-delà que tout ce que tu aurais pu espérer…

- Qu’est qu’il aurait fallu faire alors, demander aux grapheurs de peindre tout le bâtiment ?

- Je ne sais pas, et ce n’est pas à moi d’apporter la réponse, mais bien aux habitants de Valparaiso. Mais tu vois j’ai en tête tous ces projets incroyables comme le Tacheles à Berlin, ou encore le Lieu Unique à Nantes. Ce sont des lieux avec une composante sociale à haute valeur ajoutée, qui arrivent à faire sens et faire société. Ce sont des lieux où toutes les générations se retrouvent le temps d’un dimanche après-midi. Ce sont des espaces à vivre plutôt qu’à regarder, à appréhender plutôt qu’à admirer, et face à une architecture froide et mégalomaniaque, je trouve ça bien plus vivant et pérenne. »

 
larchicolin
Colin Verney
larchicolin@gmail.com

Architecte en itinérance autour du monde, à la recherche de petites perles laissées par ses confrères.

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