Quartier des Beaux-Arts, Santiago du Chili. Entre deux ruelles, une jolie place baignée d’ombre nous appelle. Déjeuner en terrasse, soleil d’été et vent frais de la Cordillère. En face, une façade m’interpelle. En y regardant de plus près, c’est la menuiserie de la verrière principale qui retient mon attention.
« Tu vois, ce travail sur les menuiseries est intéressant parce qu’il donne vraiment un caractère au bâtiment, surtout qu'il s'agit d'une opération de rénovation. Là, on est typiquement sur un bâtiment qui a du cachet, du style, avec ses toits mansardés et ses bardeaux d’ardoise.
Sur un bâtiment comme ça, c’est jamais évident d’assumer une intervention architecturale sans être trop timoré, parce que la tentation c’est de plagier le style déjà présent. On est ici dans une intervention contemporaine qui requalifie le bâtiment, qui lui donne une nouvelle qualité, mais qui pourtant s’accorde bien avec l’existant. Dans ce travail de menuiserie, on est dans quelque chose de très assumé : la menuiserie s’inscrit dans un code, un langage, une esthétique qui répond au style initial du bâtiment. Le bois a un côté brut, rustique, mais en même temps distingué et élégant qui apporte une ambivalence. Celui lui donne une complexité qui est intéressante.
- Qu’est-ce qui t’interpelle alors dans cette menuiserie ?
- Ce qui me plait dans cette menuiserie, c’est cette attention portée à la trame, qui est toutefois réinterprétée de manière complètement contemporaine. Tu vois, il y a trois types de trames qui sont entremêlées, avec des épaisseurs différentes. La première, la trame principale, c’est celle qui divise la menuiserie verticalement. La deuxième est oblique et régulière comme une treille, ce qui recrée des sous-géométries en forme de triangles et de trapèzes, eux-mêmes re-divisés par une petite trame de meneaux, comme on le faisait autrefois. Mais ce simple basculement de la seconde trame, qui pourrait rappeler un tableau de Mondrian, dans sa régularité aléatoire, donne une présence vraiment toute particulière à cette menuiserie… et à la fois habille la place, parce que cette petite place ne serait pas la même s’il n’y avait pas cette menuiserie. Note également tout ce travail sur la rive de toiture en bois qui ceinture le bâtiment : ça donne une cohérence à l’ensemble. Et le tout s’harmonise bien avec la végétation qui colonise le mur en donnant un côté très sensuel. Ca donne un contrepoint intéressant à cette place minérale.
- Très forêt en fait, car il y a des grandes verticales qui font comme de grands arbres… non ?
- Oui, je sais pas si… c’est ton interprétation, je la partage pas forcément.
- Par contre, je trouve que cette menuiserie va pas très bien avec les fenêtres latérales.
- … Si, moi je trouve que ça va bien. Il n'aurait pas fallu répéter le même procédé sur les autres fenêtres, parce que ça aurait donné un côté trop chargé. Comme ça les fenêtres latérales viennent ponctuer la menuiserie centrale, c’est pas si mal.
- Oui, mais je trouve que les fenêtres latérales font moucharabié, donc ça donne un style…
- C’est clair que c’est un style, on est bien dans quelque chose qui est de l’ordre du moucharabié. Après on aime ou on n’aime pas, question de goût personnel. C’est vrai que le geste est un peu gratuit, ou du moins on peut se poser la question de la pertinence de la référence sur un bâtiment qui n’a rien à voir avec l’art oriental…
- Oui mais dans la grande fenêtre, je trouve qu’on n’est pas tant dans ce style que ça.
- Un peu quand même, dans la grande fenêtre je trouve qu’il y a des réminiscences, dans les géométries… En fait pour moi c’est là la pointe de la conception dans cette menuiserie ; tout est dans la taille du carreau. Parce que les concepteurs à l’époque avaient une contrainte : celle de la taille du verre. Donc toutes les menuiseries qu’ils faisaient étaient liées à cette contrainte-là. Les proportions, la manière de redécouper les menuiseries, de faire les ouvrants. Et aujourd’hui cette contrainte a évolué car on peut faire des vitrages bien plus grands. Donc que faire quand on intervient sur des bâtiments comme ça ? Est-ce qu’on imite les mêmes proportions ? Mais dans ce cas-là c’est pour moi un contresens car du point de vue de l’esprit du bâtiment les concepteurs n’auraient pas travaillé comme ça s’ils avaient eu les moyens d’aujourd’hui. Alors comment faire pour respecter l’harmonie d’ensemble ? C’est là où il faut trouver un moyen de réinterpréter le carreau en travaillant sur des trames qui vont venir recouper le verre.
- Donc pour toi y’a trois longueurs de vitres ?
- Non, y’a trois niveaux de trames. Un premier sur les grands ensembles avec des madriers très épais…
- Mais le vitrage alors, il est dans quoi ?
- Il est dans le même plan.
- Ah ! donc ils ont dit « on veut un triangle de verre comme ça, un triangle de verre comme ci... »
- Oui, et cette structure participe à la rigidité d’ensemble. Chaque meneau forme une structure extrêmement rigide qui va permettre à la fenêtre de bien travailler. Ce sera pas le verre qui absorbera les déformations du bâtiment mais l’ensemble de la menuiserie qui est extrêmement rigide. Ce qui a du sens car c’est une verrière qui se retourne en toiture, donc structurellement il y a un risque plus important que les parties du bâtiment se déforment de manière différentielle. Donc tu as besoin d’avoir de la rigidité, si tu veux pas que le verre pète. Donc ça a une fonction architectonique. Architectonique ça veut dire que c’est un élément à la fois structurel mais aussi architectural, c’est-à-dire qui participe de l’esthétique générale de l’espace… »
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