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Construire en terre au Chili

L’architecture en terre est un sujet qui semble refaire surface au Chili, principalement pour des raisons d’entretien du patrimoine existant, mais également, comme dans de nombreux pays, comme moyen d’expression architecturale et technique constructive contemporaine à part entière. Nous avons rencontré Lorena Perez Leighton, architecte et enseignante en charge du diplôme de construction en terre de l’université catholique de Santiago du Chili et Amanda Rivera Vidal, architecte et diplômée CRATER, co-fondatrice de l’ECOT, qui nous parlent de cette tendance.

[Cette interview est une reconstitution des entretiens menés séparément avec Amanda et Lorena et doit être comprise en tant que telle.]

Colin : Le Chili est l’un des pays les plus actifs au monde au niveau sismique, et il semble que le tremblement de terre de 2010, qui a ravagé le centre du pays, à proximité de la capitale, ait été un tournant. Qu’en pensez-vous ?

Amanda : Le tremblement de terre de 2010 a été plus que destructeur : beaucoup de morts, de nombreuses habitations détruites et affectées - tout type de construction d’ailleurs, une tour en béton est tombée, des bâtiments en brique ou en adobe se sont effondrés. Mais on a surtout pointé du doigt l’adobe : « le problème c’est l’adobe, c’est trop fragile, ça se délite dans les tremblements de terre, ça tue des gens et c’est à cause de l’adobe qu’il y a eu autant de victimes ; détruisons les constructions en adobe ». Nous avons surtout pris conscience à ce moment-là que les gens manquaient cruellement de connaissances sur la construction en terre. Dans ce contexte, les pompiers ont ordonné la destruction de nombreux bâtiments, même des bâtiments protégés. Mais face à cette situation exceptionnelle et à la quantité d’édifices affectés par le séisme, il y avait des excavatrices partout, les décisions ont dû être prises rapidement sur le terrain pour faire face à l’urgence. Certes beaucoup de bâtiments en adobe se sont effondrés mais comme la majorité du patrimoine est en adobe c’est aussi logique d’un point de vue statistique. Ce n’est pas pour autant que l’on soit certain que ce soit moins bien, nous n’avons pas de chiffres.

Lorena : Le tremblement de terre de 2010 a détruit une partie importante de notre patrimoine, ou a fragilisé ces bâtiments. On critique souvent l’adobe mais en fait c’est souvent le fait d’un manque de connaissance par rapport à la maintenance de ces bâtiments : en général les gens ne savent plus comment entretenir leurs maisons en terre. Par exemple, de nombreuses fuites dans le toit entraînent des infiltrations, qui affaiblissent les caractéristiques structurelles des murs, et les rendent très vulnérables aux séismes.

Images du tremblement de terre de 2010. Crédit photo : t13.cl

Colin : Oui, on dit qu’une maison en terre, il lui faut un bon chapeau et de bonnes bottes, pour l’isoler de la pluie….
Lorena : Oui, mais ces connaissances ont été complètement perdues. Par exemple après le tremblement de terre on a reçu des financements de la BID pour restaurer des bâtiments ; mais on a constaté que souvent, sur le terrain, il n’y avait plus les connaissances nécessaires pour réaliser les rénovations. Il est pourtant impératif de respecter la matérialité d’un bâtiment et sa logique constructive. Un bâtiment en adobe qui se dégrade doit être restauré en adobe.

Il a fallu enseigner aux Inspectores Fiscales, nos architectes d’état, les caractéristiques de la construction en terre et de la rénovation en terre. Et pourtant il y a tant de bâtiments à réparer, consolider, maintenir, tant d’églises qui font notre patrimoine…

A : Malgré une méfiance vis-à-vis de la construction en terre, les collectivités régionales demandent de l’aide, des informations, notamment à l’Ecot. Un exemple intéressant est celui de Vichuque Maule. Dans ce village qui a été durement touché par le séisme, après formation, tout le monde a travaillé à la rénovation du village de façon traditionnelle. C’est un véritable succès.

 

Colin : Mais, qu’en pensez-vous, l’adobe, "ça tient" ?

A : L’église la plus ancienne de Santiago, l’église San Francisco, est en adobe et a 400 ans. Donc, même si on ne peut pas justifier la construction en terre, ce genre d’exemples parle de lui-même : de fait, ça tient.

Pour changer les choses, cela passe par changer d’abord les professionnels qui exercent, de changer le regard qu’ils portent eux-mêmes sur la construction en terre.

Colin : La construction terre, c’est un terme assez vaste aujourd’hui qui regroupe plusieurs sous-catégories. Quelles sont les techniques de construction en terre employées aujourd’hui au Chili?

L : Il y a de nombreuses techniques. En voici un aperçu de quelques-unes d’entre elles :
La technique de la quincha : il s’agit d’une structure en bois recouverte de terre.
Il y a le tecnoadobe : c’est une sorte de quincha métallique, c’est-à-dire un squelette de poutre treillis recouvert de terre.

Le tabial : il s’agit de terre compressée dans une ossature, 50% à l’intérieur, 50% à l’extérieur.
Les blocs d’adobe
L’adobillo : il s’agit de créer un mur en ossature bois, un peu comme un colombage et de fixer deux tasseaux verticaux au milieu de chaque montant. On vient ensuite enfiler de grosses briques de terre qui présentent la même forme crénelée, un peu comme un système de rainure-languette.

 

Colin : Pourquoi avez-vous décidé de mettre en place un diplôme de construction en terre à l’Ecole d’Architecture de l’Université Catholique ?
L. : L’objectif est de réconcilier la construction historique et l’architecture contemporaine. On veut montrer que l’adobe est un système de construction valide. Le diplôme, délivré par le département d’architecture, est un gage d’éducation « sérieuse ». Pour changer les choses, cela passe par changer d’abord les professionnels qui exercent, de changer le regard qu’ils portent eux-mêmes sur la construction en terre, architectes comme professionnels du bâtiment. Et ce n’est pas gagné, il y a beaucoup de scepticisme voir de désintérêt… En formant les professionnels qui exercent, on cherche également à ce qu’il y ait de plus en plus de gens qui puissent rénover correctement les bâtiments en terre qui doivent être restaurés ou rénovés. En effet, il existe un trou entre les générations quant aux techniques de construction. Il y a de vieux adoberos, mais pas de jeunes.

Eglise San Francisco de Santiago de Chile - Crédit photo : arqhys.com

Colin : et en ce qui concerne la construction contemporaine ?

L. : Pour l’instant, il n’existe qu’une norme qui encadre l’intervention dans les bâtiments existants, dans la rénovation de bâtiments anciens. Par contre il n’y a pas de norme qui nous permette d’utiliser la terre comme unique élément structurel. Le problème de l’adobe c’est qu’il est impossible de calculer un bâtiment en adobe parce que la terre n’est jamais la même, l’humidité non plus, ni la densité des différents blocs. Tous ces paramètres changent constamment. Si tu fais un trou juste à côté, la terre est différente, on ne peut pas tout tester. .

A : En théorie, on peut construire aujourd’hui un bâtiment en adobe de 100m² maximum, sur un niveau, avec une hauteur maximale de 3,5m. Ceux qui construisent de manière contemporaine contournent cette règle, ou font en sorte que la terre ne soit pas porteuse. C’est la seule manière de réconcilier tradition et innovation.
Je trouve qu’il y a tout de même beaucoup de constructions nouvelles en terre. Avec des techniques mixtes, quand la terre n’est pas porteuse.

 

Colin : qui sont les architectes chiliens qui utilisent la terre ?

L. : Les principaux architectes contemporains qui utilisent la terre sont Marcelo Cortes, Patricia Marchant, Patricio Arias qui a travaillé sur les treillis métalliques, ou encore Romina Salgado qui a travaillé sur le comportement au feu de la paille recouverte de terre.

A. : J’ai travaillé avec Marcelo Cortes, ce qu’il fait est très intéressant. Par exemple il a créé 4 maisons contemporaines de standing en adobe, avec des façades sans enduit, c’est très osé. Il utilise la technique de torchis métallique qui lui permet de réinterpréter la construction en terre de manière contemporaine.
J’aime beaucoup également l’architecte Magdalena Gutierrez. C’est une dame de plus de 80 ans maintenant, qui vit dans le nord du Chili, à San Pedro de Atacama. Elle a une vision modeste de l’architecture, qui allie technique traditionnelle et architecture contemporaine. Elle a notamment rénové l’église de San Pedro de Atacama. Elle utilise la Torta de barro, c’est un toit fait de couches de paille, de bâche et de cendre.

Projet de Marcelo Cortes, crédit photo : Amanda Rivera

Colin : Quelle est la philosophie de l’Ecot ?

A : Anne Le Marquis et moi-même avons fondé l’Ecot en 2012. L’Ecot propose des formations et des ateliers pour enseigner la construction en terre aux différents publics intéressés. Notre philosophie fait la part belle à la pratique. On ne peut pas comprendre la construction en terre sans toucher la terre, comme on le faisait enfant en touchant le sable et la terre. On croit beaucoup en la pratique, parce que la pratique permet le plus souvent aux élèves de répondre à leurs propres questions. On a des fois les réponses à nos propres questions mais on ne cherche pas : si je trouve ma réponse je n’oublierai jamais, alors que si j’obtiens la réponse de quelqu’un d’autre, j’ai plus de chance d’oublier.
Après, pour le reste, on part du connu, des traditions. On parle de construction en terre mais il existe en réalité beaucoup de techniques pour construire en adobe. On part toujours de l’existant, ce qui nous permet de déduire des règles constructives, puis d’extraire l’essence des choses nouvelles. C’est une approche empirique.

 

Colin : Quelle est votre ambition ?

A : L’adobe c’est efficace thermiquement, durable et pas cher. Mais on a souvent l’impression que c’est écolo et pour les pauvres, alors qu’on peut tout à fait faire une architecture de standing avec de la terre, pour un public plus aisé.

Colin : Merci Anne et Lorena pour votre témoignage. Même si en France les problématiques sismiques ne sont pas aussi aiguës, c’est assez intéressant de voir que les architectes français se heurtent aux mêmes problèmes que les architectes chiliens. C’est aussi assez ironique de voir que ces techniques existent depuis des millénaires, mais que faire le choix de construire en terre crue est un acte pionnier en la matière.

L : Oui, mais en même temps ça fait 50 ans qu’on parle du sujet et qu’on est pionniers… C’est aussi un peu dommage que dans le milieu universitaire il y ait parfois cette logique de ne pas vouloir partager les savoir-faire et les découvertes. Ce n’est en tout cas pas l’attitude de l’Ecot : pour nous le plus important est l’ouverture aux échanges, de ne pas cloisonner l’information et d’avoir l’humilité de partager toutes les connaissances empiriques qui peuvent être récoltées.

Aspect d'un mur en pisé, technique du pisé compacté entre banches.

Colin : On peut effectivement espérer que bloc après bloc, on arrive à mettre au point une méthodologie de référence pour les architectes du monde entier ! Heureusement que des initiatives comme le diplôme de l’Ecot et le diplôme de la faculté d’architecture de Santiago ont cette démarche d’ouverture. C’est en tout cas très inspirant et prometteur, on vous souhaite de continuer sur cette voie !

larchicolin
Colin Verney
larchicolin@gmail.com

Architecte en itinérance autour du monde, à la recherche de petites perles laissées par ses confrères.

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