Sous l’angle de l’espace
Esplanade minérale sous le soleil qui nous aveugle. Pourtant, quelques lignes jaunes rayent le béton blanchi par la lumière et dessinent le contour d’une rampe d’accès. On s’approche…
« Ah ! Très intéressant cette manière de finir l’angle….
- Quoi ?
- C’est ce travail sur les angles, là, qui me plait. Une constante quand tu fais un travail de détail, c’est la finition des angles. Les angles, c’est primordial, car ce sont les angles qui nous permettent de comprendre l’espace.
Je fais une digression, mais d’ailleurs c’est la différence entre un dessin et un croquis d’architecte. Dans un dessin, on travaille sur les surfaces et les ombres, tandis que dans un croquis d’architecte on travaille sur les lignes et les angles. En 1ère année d’architecture, la toute première chose qu’on apprend à faire c’est de soigner son trait, de faire en sorte que son trait soit le plus régulier possible, et que les jonctions soient bien marquées. C’est d’ailleurs ce qu’il y a de plus important dans un croquis. Tu peux avoir un trait un peu approximatif, mais la jonction des lignes, c’est ce qu’il y a de plus important. C’est tellement important qu’on fait même souvent dépasser un peu le trait de l’angle pour mieux le matérialiser. C’est à ça qu’on reconnaît un dessin d’architecte.
Bref, du coup, en conception quand on travaille l’espace on travaille à ce que les arrêtes soient nettes, soient bien traitées ; car dans le ressenti, dans la phénoménologie de l’espace -la phénoménologie c’est la manière dont on ressent l’espace- ce sont les arrêtes qui sont les éléments les plus déterminants pour que l’on puisse comprendre les volumes autour de nous. Ça fait en fait appel à des parties très primitives du cerveau, qui sont liées à l’orientation dans l’espace et à la reconnaissance de l’environnement, avant même que notre cerveau conscient n’ait pris le contrôle.
Les angles sont donc très importants, mais dans la réalité, ils sont plutôt difficiles à réussir, car c’est toujours les angles et les arrêtes qui cassent en premier. Dès qu’il y a quelque chose qui tombe sur un angle ou une arrête, paf ! ça casse et c’est plus très net. Quand tu fais du béton et que tu décoffres, c’est toujours cette petite partie aussi qui casse. Donc ce qui se passe c’est qu’on rajoute du mortier pour « réparer » la partie cassée, mais quand on reprend le béton comme ça, c’est pas naturel, on voit que c’est rajouté et en plus c’est plus fragile.
-Oui, on voit très bien ce phénomène, là, en face. Au moment de décoffrer ils n’avaient pas un très bon béton, un béton qui n’a pas été suffisamment vibré en fait, où les fines particules ne sont pas allées jusque dans les angles, bloquées par les plus gros cailloux. Une manière de contourner ce problème c’est de chanfreiner les angles au préalable, c’est-à-dire que dans la forme du coffrage l’angle sera coupé à 45 degrés. Mais du coup, une fois biseauté, tu perds la netteté de l’angle. Donc ici, dans cet exemple, ce qui est intéressant c’est qu’avec des moyens très simples, cette simple cornière métallique, ils arrivent à arrêter de manière nette la finition de l’enrobé. Ce qu’ils ont fait en réalité c’est qu’ils ont commencé à faire le petit muret en béton banché, ensuite ils ont posé la cornière qui forme l’arrêt de l’enrobé et enfin ils ont pavé et ils ont traité le bord avec du béton désactivé. Donc ça fait une finition bien nette, ça redessine les angles et les arrêtes, ce qui structure l’espace. En même temps c’est assumé, ça fait partie du style, c’est traité en jaune primaire bien tranché.
- Le jaune, c’est pas pour des raisons de sécurité, pour qu’on voie mieux les limites ?
-En plus ça a un intérêt, les piétons voient bien, ça montre bien où est le rebord. Ca fait une finition qui est durable, qui est sécurisée dans la pratique et qui coûte pas cher à faire. C’est tout simple comme système mais c’est très réussi ! »
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