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Quartier « Bella Vista », centre de la vie nocturne de Santiago, quartier bas de maisons anciennes aux façades le plus souvent recouvertes de peintures murales. Au milieu, un pâté de maison composé de maisons traditionnelles. Rien ne semble différencier cet endroit des autres « blocks ». Des ruelles le transpercent pourtant. A l’intérieur, un quartier dans le quartier, une multitude de bars et de restaurants.

 

« Ce que je trouve intéressant dans ce lieu ce sont ces différentes strates, ces différents niveaux. Tu vois, ici on est dans un lieu à la typologie assez simple : deux patios qui articulent un ilot. Tout est centré sur ces deux patios, qui créent 3 niveaux : un niveau creusé, accessible par des gradins, un niveau intermédiaire qui est celui de la rue, et le niveau supérieur, comme le ponton supérieur d’un bateau qui permet d’avoir une vue sur le reste. Ce sont ces jeux qui donnent de la complexité à l’espace. Ça donne l’impression d’être suspendu dans des cabanes dans les arbres, d’être dans une forêt. Pourtant, il y a tout un jeu de demi-niveaux intermédiaires, des quarts de niveau.

- Je ne comprends pas vraiment cette idée de demi-niveaux…
- Là, tu vois à droite, on a une volée qui fait 8 marches. Cette volée te fait donc monter de 1,2m au-dessus du niveau de la rue qui se trouve à l’ouest et ainsi te permet de rattraper le niveau de la rue qui se trouve à l’est. C’est bien pensé. Ils auraient pu dire : « on rase tout et on fait tout à niveau, c’est plus simple ». A l’inverse, ils ont choisi de conserver cette caractéristique du site, ils travaillent le niveau et ça crée des transitions intéressantes, des jeux de coursives qui se surplombent. Ça crée une promenade architecturale. Et ça, c’est une thématique centrale de cet espace, tu vois. C’est d’ailleurs une grande thématique du mouvement moderne. C’est-à-dire le fait d’appréhender l’espace, que tu puisses voir autour de toi, que tu puisses sentir le lieu.

D’une manière générale, ce qui est caractéristique ici c’est la fluidité. Tu te balades très librement dans cet ilot, tu vas passer de terrasse en terrasse jusqu’à trouver l’endroit qui te plait. Par rapport à une rue de bars, où tu vas enchainer les bars un par un, sans avoir de vision globale, ici tout est concentré. Les terrasses très ouvertes permettent de se faire une bonne idée des différentes ambiances et établissements, pas besoin de se taper 300 mètres de rue dans un sens et dans l’autre pour trouver ce que tu cherches. On est dans une sorte de 8, comme une boucle infinie. Ça fait que tu peux te balader autant que tu veux, tout en étant dans un espace très réduit, très concentré. Cette boucle infinie est très importante du fait de l’échelle. Ça ne marcherait pas si on était dans une échelle plus grande -ou plus petite d’ailleurs. En termes d’ilot on est à peu près sur 100m par 100m.

La typologie des deux patios donne l’impression que l’échelle est ouverte et en même temps cela permet de s’orienter facilement. Tout est articulé autour de ces deux patios connectés.

 

- Moi ce que je trouve intéressant c’est qu’on a à la fois de l’espace pour respirer mais les rues latérales sont assez resserrées, on est donc quand même dans de l’intime. On a vu qu’il y avait plein de gens qui ont des comportements intimes ici, mais grâce à la végétation et la disposition, on est jamais exposés frontalement. On voit tout le monde mais on n’a pas l’impression d’être vu.

 

- Oui. En fait y’a vraiment une échelle qui donne l’essence du lieu, et qui est parfaite. On est dans un endroit où on se sent bien, on se sent en sécurité –et ça n’a rien à voir avec le service de gardiennage privé. On a une largeur à peu près équivalente à la hauteur. Y’a des effets de resserrement, de pincement, ce qui fait qu’en général on a une visibilité qui varie entre 10 et 50 mètres mais qui nous permet de découvrir à chaque fois un nouvel endroit, grâce à ces jeux de niveau décalés. La règle d’urbanisme est assez simple : les angles sont tenus par des restaurants qui possèdent généralement l’étage, ce qui garantit de cette manière une variété d’établissements. Ça a ses avantages et ses inconvénients - y’a aucune mixité urbaine,  à 16h c’est vide et à partir de 20h ça commence à être blindé. Mais indépendamment de ce système qui pourrait être critiquable d’un point de vue urbain, je trouve qu’architecturalement, c’est réussi. Et qu’il y a tout simplement un bon esprit du lieu, un bon genius loci.

- Moi au début je trouvais que c’était trop artificiel…

- Ça a un côté artificiel, c’est vrai. Parce qu’il n’y a que des restos, que des bars. On n’est pas dans une définition de la ville, on est dans une propriété, c’est un peu un centre commercial mais appliqué aux restaurants en plein air.

- Y’a un côté un peu Disneyland…

- La différence entre un Disneyland et ici, c’est qu’ici ils ne cherchent pas à faire dans le pseudo pittoresque, il y a une vérité des matériaux. On est dans de la brique, mais de la vraie brique -qui est mise en œuvre par un maçon, parce qu’ils ont une économie de la construction qui n’a pas encore été totalement industrialisée comme chez nous en Europe. Tu appliques la même idée de brique chez nous ou aux USA c’est à vomir, parce que pour faire vintage tu auras de partout des panneaux de briques préfabriqués, trop réguliers, on sera dans le registre de l’imitation. Tandis que là tu as la vraie matérialité, tu as de vrais poteaux en métal, de vrais poteaux en bois, on n’est pas dans de l’imitation structurelle ou architectonique.

Comme une boucle infinie.

- Je trouve qu’on est tout de même dans une uniformisation des restos, des décorations. On est dans un bel endroit mais on pourrait être tout aussi bien ailleurs qu’à Santiago du Chili.

- Oui, tout dépend des bars cependant... Je pense que ce n’est pas uniquement la décoration, cette impression d’uniformisation c’est également une question de mobilier. L’une des problématiques c’est le système du financement du mobilier... Y’a beaucoup de bars affiliés à des marques qui paient leur mobilier. Par exemple nous on est assis sur de très belles chaises en métal Johnny Walker - le logo de cette marque de whisky est en découpe laser sur le dossier. Les chaises sont donc payées par de grandes marques internationales, parce que ça a quand même un coût certain donc les établissements en profitent. Ça abouti à une uniformisation des ambiances. Mais quand on regarde les tables et les chaises en bas, là, on est sur du mobilier éclectique, traité en métal et en bois, ça c’est des choses moins courantes, qu’on voit pas dans tous les bars. C’est traité dans le goût occidental mais la question qu’on peut se poser c’est quelle est l’alternative aujourd’hui ? Cette culture du resto, du bar, le soir en week-end, c’est une culture occidentale. Qu’est-ce que c’est une culture de bar typique de Santiago, de Buenos Aires ? En plus, en réalité toute la culture urbaine de l’Amérique Latine c’est une culture importée, n’oublions pas que c’est une terre d’immigration, c’est un territoire à l’origine colonisé, donc…

Quand on parle d’un bar ouvert où on va manger au resto, si ça correspond à aucune réalité locale et ben peut-être que la culture locale ne l’a pas réinventée et que le concept s’est importé de lui-même. Mais ça aurait pas de sens de vouloir imiter un style local si celui-ci n’existe pas.
Au fond ce que cherchent les gens c’est partager un bon moment et la valeur suprême d’un lieu c’est son authenticité. Bon, c’est une question de valeurs après ça se discute, mais … Bref tout ça pour dire que je pense que ce lieu ne se corrompt pas de ce point de vue-là même si on est dans un lieu international c’est un lieu qui n’a pas perdu son authenticité. Si tu regardes la végétation on voit que les arbres ont 30 ans, il y a eu un vrai soin apporté dans cette opération de rénovation pour conserver ces arbres. Les maisons ont été restaurées en partie mais conservées en partie également. On a ce lierre qui doit avoir 50 ans qui bouffe toute une partie de la façade, conservée elle aussi. C’est un lieu qui a été fait de manière intelligente, dans lequel ils ont su conserver les typologies existantes. On reste dans la même échelle de quartier, avec les venelles existantes pour desservir l’ilot.

 

Tu vois je pense que c’est la différence fondamentale entre un lieu qui est créé de toute pièce et cette opération qui s’adapte vraiment à la typologie et à la morphologie urbaine, tout en la requalifiant, en la réinterrogeant et en actualisant la manière de fonctionner, tout simplement. »

larchicolin
Colin Verney
larchicolin@gmail.com

Architecte en itinérance autour du monde, à la recherche de petites perles laissées par ses confrères.

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