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Les petits coins

Dans la série d'articles sur le centre culturel de Valparaiso, petit échange critique sur les petits coins, qui sont souvent des espaces négligés…

 

« Il y a une chose que j’aime bien faire dans un bâtiment public, c’est visiter les toilettes. Je sais plus quel archi disait : « Dans un bâtiment, il faut réussir deux choses : l’entrée et les chiottes ». Ça peut paraître un peu bizarre, mais souvent les toilettes sont assez représentatifs du soin que l’archi a accordé aux usages. Et même si ça a l’air au premier abord assez basique, c’est paradoxalement souvent l’un des éléments sur lequel on passe le plus de temps en conception. Pourquoi ? Parce que déjà, il faut réussir à trouver l’emplacement idéal. Dans un bâtiment public, il faut que ce soit facile à trouver, mais il ne faut pas que ce soit la première chose qu’on voit. L’autre point, c’est que c’est assez contraint techniquement : il faut que ça soit implanté de telle sorte que tu puisses à la fois évacuer les eaux usées, et que tu puisses faire sortir les ventilations de canalisation en toiture. Donc tu ne peux pas mettre n’importe quel local ni au-dessous, ni au-dessus. Enfin, il faut trouver la juste proportion entre fonctionnalité, intimité et sociabilité. Parce que les sanitaires sont aussi des lieux sociaux – surtout chez les femmes d’ailleurs. Enfin, les sanitaires, c’est aussi un challenge pour trouver des équipements qui soient en adéquation avec le reste des prestations sur le bâtiment.

 

- Tu veux dire comme ici par exemple ?

 

- En l’occurrence comme ici, oui. C’est justement assez décevant, parce que le traitement des toilettes n’est pas du tout à la mesure du reste de l’édifice. Tu vois, on est sur des vasques entrée de gamme, avec des boutons poussoir premier prix. On a l’impression d’être dans un bar. Les canalisations sont apparentes sans raison, la faïence est entrée de gamme aussi.

 

- Oui, mais il y a les fameux luminaires…

 

- C’est ça : d’un côté t’as des vasques qui coûtent 60€, de l’autre trois luminaires qui coûtent chacun 1 500€… Il y a un vrai déséquilibre dans les prestations, dans la manière de répartir le budget. Surtout que, franchement, dans les toilettes tu as envie de te rafraîchir. Surtout dans un musée. Dans un musée, les toilettes c’est un lieu de convivialité, un lieu où tu discutes avec ton pote, pas quand tu pisses évidemment, mais quand tu te laves les mains. Alors peut-être qu’ils se lavent pas les mains ici, je sais pas… Bref, mais c’est pas tellement le fait d’utiliser des vasques entrée de gamme qui est problématique, mais le problème, c’est le caractère des choses. Quand on fait un bâtiment , aux angles saillants et aux lignes obliques, on ne met pas un lavabo au design arrondi, mou et consensuel. C’est ni rond, ni rectangulaire. Ajouté à l’effet de répétition, ça donne un côté assez déprimant…

- Par contre les urinoirs, sur l’autre mur, ça a un côté un peu Marcel Duchamps, c’est sympa, non ?

- Je suis pas vraiment convaincu par les urinoirs non plus, par leur position.

- C’est vrai que tu pisses contre la porte du dernier toilette…

- Oui, sur les trois il n’y en a finalement que deux qui sont vraiment fonctionnels… En fait la manière dont ils sont positionnés, ils sont . Donc effectivement pour faire une allusion à Marcel Duchamp, c’est peut-être très bien. Mais concrètement, quand tu veux pisser, t’as pas envie d’être théâtralisé sur ton urinoir…

Le problème, c'est le caractère des choses.

- On remarque tout de même qu’il y a une table à langer dans les toilettes des hommes, c’est quand même très « moderne » si je peux me permettre cette allusion-confusion….

 

- Mhhh… Et puis regarde, les détails ne sont vraiment pas soignés. On a des souches de canalisation un peu partout, dissimulées par des caissons carrelés. D’un côté on a une poubelle en plastique bas de gamme, de l’autre un porte-serviette en métal brossé ultra luxe, avec un sèche-main électrique haut de gamme aussi, mais qui n’est pas dans le même inox. Pour finir, je vois pas pourquoi ils ont utilisé ces grands carreaux ternes, qu’on ne retrouve nulle part dans le bâtiment, à la place de la petite faïence en mosaïque utilisée dans les autres espaces. Ou plutôt si, je sais ce qu’il s’est passé. L’architecte a confié à un économiste la description des pièces écrites du marché. Et quand tu ne donnes ni consigne, ni que tu fais une relecture attentive sur les prescriptions, voilà comment ça se termine : un patchwork d’éléments qui n’ont rien à voir les uns avec les autres. Voilà pourquoi les toilettes sont si représentatifs d’un édifice, parce que c’est à la fois le premier et le dernier maillon de la chaîne dans la conception du bâtiment. »

larchicolin
Colin Verney
larchicolin@gmail.com

Architecte en itinérance autour du monde, à la recherche de petites perles laissées par ses confrères.

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