
L’école du futur
Campus Creativo, véritable « université de la créativité », à Santiago du Chili. Au milieu du quartier de Bella Vista, composé d'anciennes maisons particulières et grignoté par quelques immeubles de logement, un bâtiment contemporain, aux reflets métallisés dorés, attire notre attention. Le directeur, Fédérico Sánchez, nous ouvre largement la porte et nous laisse carte blanche…
« Ce qui me frappe dans ce lieu c’est sa radicalité, associée à une sorte de bouillon de créativité. L’architecture a un côté à la fois futuriste tout en restant emprunt du site, du lieu, de la culture chilienne, de l’histoire de cet endroit. L’histoire au sens large. Je trouve que le concept de cette école, le bâtiment-usine résonne très bien avec l’histoire du site ainsi qu’avec le genius loci, l’esprit du lieu.
La grande force c’est qu’il y a un côté industriel mais également un côté réfléchi, une forme de délicatesse dans ces trois bâtiments. On a face à nous un concentré d’histoire du Chili : il y a d’abord les bâtiments anciens, la vieille demeure à patios et moulures -qui était celle des patrons de l’usine, et à côté les logements ouvriers qui sont plus simples. La maison du directeur est reconvertie aujourd’hui en locaux administratifs, les patios sont réutilisés de pour apporter de la lumière ou servir plus largement de lieux de travail et de rencontre. Ensuite le deuxième bâtiment, qui est . Beaucoup de cachet avec son ossature en béton et son remplissage brique, sur laquelle ils sont venus poser une toiture contemporaine, ce qui permet de faire l’articulation stylistique avec les deux autres édifices. Enfin le , presque futuriste, avec de la tôle ondulée pleine et perforée par endroit, qui rappelle le langage de l’usine. , ça rajoute juste ce qu’il faut d’élégance.
D’une manière générale il y a partout une certaine contradiction –résolue- entre efficacité et élégance des choses. On le retrouve à l’intérieur, on a du mobilier haut-de-gamme qui habille l’espace, qui vient en opposition avec le : sol béton ciré, murs blancs, gaines apparentes. Ce côté un peu brut reste agréable à vivre parce qu’on a des matériaux de qualité, on a du verre teinté, de qualité, des châssis en acier qui ont des tolérances d’assemblage très faibles, ce qui donne un sentiment de précision et de soin.
C’est un choix assez judicieux : au lieu de dépenser des sommes énormes en plâtrerie pour masquer tous les équipements techniques, faire des trappes de visite qui de toute manière ne seront jamais totalement réussies, finalement tu mets le même budget dans des matériaux de qualité et du coup ton bâtiment monte en gamme. La qualité se sent ; ça se sent que ce sont des choses qui vont durer, en particulier en ce qui concerne les menuiseries intérieures.
Ces trois bâtiments sont ensuite articulés par un patio central qui fait office de cour, longé par la venelle historique qui permet de traverser tout l’ilot de part en part. Cet endroit, c’est un lieu de vie, c’est un lieu d’expression de la créativité des étudiants, il y a des , des bancs, c’est un lieu extrêmement vivant où tout le monde se retrouve.
- C’est vrai que c’est assez intéressant parce que souvent dans les écoles on crée des rues pour recréer de la vie artificiellement, mais ça ne prend pas toujours. Là au contraire on sent qu’il y a une vraie appropriation du lieu.
- Remarque aussi que l’espace central forme une sorte de place à l’italienne. Tu rentres sur cette place par le côté, donc les circulations sont périphériques et cela conserve l’espace central libre. C’est vraiment la typologie de la place par excellence. Ce qu’il manque un peu ce sont des arbres mais c’est parce que l’opération est récente. Ça ne fait que 2 ans que c’est construit, les arbres sont encore un peu jeunes. On imagine bien que quand ces arbres auront atteint leur taille adulte finale, c’est-à-dire quand ils auront une dizaine de mètres, ça sera un espace un peu plus ombragé et qui sera plus agréable à vivre. Parce que là ça tape un peu pour le moment…
L’entrée est assez subtile, c’est l’entrée historique de la venelle. Ce n’est pas un grand parvis avec un gros écriteau « Ceci est le Campus Creativo tadaaa ». Non, quand on est entré on ne savait pas ce que c’était, ça ressemblait davantage à un espace public. On s’est vite fait arrêté par les gardiens d’ailleurs. Mais parce qu’on a l’impression que c’est un espace public, cela montre la volonté, dans la conception, de conserver ce lieu ouvert.
En fait toute l’opération est bien à l’image de l’école, c’est-à-dire qu’ils y sont allés franchement dans la rénovation, ils n’ont pas fait de sentimentalisme. Ils ont essayé de garder un maximum d‘éléments, les plus importants, ceux qui avaient le plus d’expression. En ce sens-là c’est une requalification du bâtiment plutôt qu’une rénovation. Et le tout prend alors une cohérence qui fonctionne très bien. C’est un endroit dans lequel on a envie d’étudier.
- Moi je dirais même plus qu’étudier, c’est un endroit où on a envie de vivre.
- On a envie de vivre oui ! Tu vois, il ont prévu des espaces intermédiaires, qui sont agréables à la fois pour travailler et pour vivre : plusieurs espaces pour prendre un café, une cafétéria, plusieurs secteurs de bureaux, d’espaces de travail en libre accès. La bibliothèque qui est tout en haut est superbe, très agréable grâce à une belle lumière donnée par le système de sheds, tu sais ce sont les « w » traditionnels sur les toits des usines qui permettent d’obtenir de la lumière indirecte tamisée.
Et puis il y a ce bâtiment futuriste qui fait penser à un vaisseau spatial ou à un diamant taillé. Il est à l’angle de l’ilot, il marque bien l’école, comme la proue d’un navire. Le bâtiment a un côté usine ultra high-tech, c’est l’usine de la créativité, du XXIème siècle en somme.
Bon, bien sûr, dans ce bâtiment il y a de petites fautes à droite à gauche, des petits points de détail mais finalement il y en a très peu. Et on pardonne facilement ces fautes parce qu’il y a eu cette épaisseur de la pensée et ce soin général apporté aux usages, à la lumière qui est filtrée de différentes manières, aux terrasses… Les terrasses tu vois ce sont des cadeaux de l’architecte. C’est pas le genre de choses qui sont dans les programmes en général. On demande des espaces de vie mais après c’est l’architecte qui les répartit dans sa conception. Quand tu creuses ton bâtiment pour faire une terrasse pour que les étudiants aient une vue sur toute la ville, quand tu rajoutes une terrasse supplémentaire, c’est un vrai cadeau que tu fais aux usagers. C’est ce qui fait qu’on pardonne facilement les petites erreurs, à l’inverse du bâtiment qu’on a vu hier, le . Ce bâtiment contemporain était intéressant dans son concept de base mais dans la réalisation il y avait des malfaçons partout. A un moment quand y’en a trop, y’en a trop, tu peux plus pardonner. C’est pour ça qu’on n’a pas fait d’article dessus d’ailleurs…. Bref, ici tout concours à ce qu’on se sente bien et qu’on ait envie de donner le meilleur de soi-même. Si toutes les universités pouvaient être comme ça… »







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