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Laisse béton

 

Architecte : HLPS

 

Année de réalisation : 2011

 

Fonction : centre culturel - musée

C’est aussi pour ça que le béton a mauvaise presse, parce que quand on dit béton, les gens pensent aux 90% des réalisations qui sont mal maîtrisées.

Dans la série d’articles sur le centre culturel de Valparaiso, il y a un point qui mérite d’être abordé : celui de de la mise en œuvre du béton, qui n’est pas aussi simple qu’on pourrait l’imaginer…

« Quand on y pense, le béton c’est quand même un matériau assez formidable. C’est de la pierre liquide. Tu te rends compte ? Tu prends un sachet de poudre comme une soup’minute, tu mélanges à de l’eau avec quelques croûtons et de la Maïzena et paf ! T’as une pierre de la forme que tu veux en 24h, qui peut tenir des dizaines, voire des centaines d’années. Pourtant, même si c’est facile de faire du béton, ça l’est beaucoup moins de faire du beau béton. T’as des architectes comme Tadao Ando qui sont des spécialistes du béton. Quand tu touches le béton de ses bâtiment, c’est si lisse et si parfait qu’on dirait du textile. Mais pour en arriver là, ce sont des années de recherches, d’expérimentation et de savoir-faire qui sont nécessaires. C’est aussi pour ça que le béton a mauvaise presse, parce que quand on dit béton, les gens pensent aux 90% des réalisations qui sont mal maîtrisées. Mais c’est comme pour les soupes. Personne n’a envie de commander une soupe au restaurant, parce que tu imagines juste une purée un peu liquide sans saveur. Pourtant tu peux avoir des soupes absolument fantastiques avec tout un tas d’ingrédients et de textures.

- Oui mais quand tu regardes, t’as quand même souvent beaucoup de défauts dans le béton, comme cette  qui s’effrite sur les deux côtés…

- Oui, mais ça fait aussi partie de la sensibilité du béton, de sa relative imperfection. C’est ça qui est intéressant dans le béton, c’est de savoir tolérer certaines imperfections, et pas d’autres. Ça demande du coup d’être très rigoureux dans le suivi de chantier, parce que ces petits détails, c’est très peu visible quand t’es dans le gros bordel du gros œuvre, mais une fois que tout est fini, ça saute aux yeux. Ça, tu vois, ce sont les soucis typiques qu’on a sur le béton. Il faut que ton banchage soit parfait, que ton béton soit parfaitement vibré, parce que si tu rattrapes les choses dans un deuxième temps, ben qu’est-ce qui se passe ? Ça casse après. Premier coup de gel, paf ! Et ça c’est le genre de détails que tu laisses pas passer si tu prends le temps de faire un bon suivi…

- Oui parce que là c’est vraiment bien abîmé, et des deux côtés…

- Oui, il faut une culture constructive très poussée et des contractants très compétents ; De toute façon, un bâtiment réussi il faut garder à l’esprit que c’est toujours une collaboration… L’une des premières choses que tu fais en tant qu’archi sur un chantier, c’est de fixer ton degré d’exigence de réalisation et celle du commanditaire. Et c’est ça qui sera la ligne directrice dans le niveau d’exécution des travaux. Ton job après, c’est de vérifier la bonne exécution, faire la synthèse des problèmes rencontrés, vérifier la maîtrise du budget et du planning, etc.

(…)

- Donc pour faire un joli bâtiment en béton, il suffit juste d’un bon maçon et d’un bon archi alors ?

- Oui, mais pas que. La première des choses c’est d’avoir une bonne centrale à béton. Parce que le type de ciment, le type de sable et de graviers va jouer sur le rendu final. Tu vas ainsi avoir des rendus très différents selon la centrale à béton choisie, qui peut même varier avec le temps parce que les filières d’approvisionnement peuvent varier aussi. Tu peux ainsi avoir des bétons chauds, ou au contraire très froids dans le rendu. Les bétons dans le sud de la France ont d’ailleurs souvent un super rendu, à la fois chaud et clair, à cause du sable et des granulats des carrières, plus clairs et plus ocres.
Mais en plus de ça, les conditions climatiques lors de la mise en œuvre vont fortement jouer. Si tu mets en œuvre un béton en été par très forte chaleur, tu risques d’avoir plus de défauts que si le béton fait sa prise très lentement, dans des conditions plus froides et humides.

- Pas facile-facile, le béton en fait.

- Eh oui, c’est ça qui est difficile : le béton brut apparent, ça pardonne rien. Tu vois ces appliques : on voit qu’ils ont . On voit par exemple ici qu’ils ont oublié d’intégrer une prise, donc ils ont tiré une goulotte sur le béton, pour pouvoir alimenter le luminaire. Ça c’est dommage. Mais c’est le coup classique où tu te fais avoir. Si t’es un peu charrette tu te dis « les plans d’électricité je les ferai plus tard » et tu commences par le gros œuvre. Et puis là tu oublies d’intégrer cette réservation, ou l’électricien oublie de la demander au maçon, et après c’est trop tard.

Ça demande une très grande maîtrise du projet, d’avoir anticipé énormément de choses, d’avoir fait beaucoup de concertation, de réunions de chantier, pour intégrer tout ça. C’est un exercice qui est d’autant plus difficile quand tu es dans un bâtiment tout en béton brut comme ça, parfaitement épuré. Là y’a pas de placo, donc ça ne pardonne rien, le moindre faux-pas est criant. Quand tu travailles sur le béton, même si tu pètes et que tu refais, dans le cas d’une saignée, ça se voit, ça se voit comme le nez au milieu de la figure, comme une cicatrice. Ça ne tolère pas l’erreur. C’est pour ça que se lancer dans un bâtiment comme ça, ça demande une certaine humilité ; ça demande d’être très organisé mais surtout de savoir collaborer avec les artisans et à un moment donné de savoir s’interroger : « est-ce que j’ai vraiment les épaules pour faire ça ? ». Je ne dis pas que c’est simple, seulement ce type de projet c’est pas donné à tous les archis parce ça implique d’avoir fait une sacrée quantité de chantiers et d’avoir une vraie culture constructive du béton.

(…)

- Et pourtant, t’as beau avoir tout fait pour tout anticiper, tu peux toujours avoir des imprévus, ou des combinaisons qui ne marchent pas. Ce qui est dommage tu vois ici, et c’est une constante sur ce bâtiment, ce sont les luminaires. Ils sont traités en ligne et ils ne sont jamais . Y’en a toujours un qui est un peu décalé. Pourquoi ? Parce que l’implantation n’a pas été faite au moment de la mise en œuvre du béton. Et quand tu confies à un électricien de fixer des appliques sur du béton armé, le mec se retrouve avec sa petite perçeuse à faire des trous dans une dalle où il a une chance sur deux de tomber sur un acier… Un électricien, c’est pas un artisan qui va avoir de gros perfos ou des carotteuses, il va travailler précisément dans du placo mais pas dans du béton, il a pas les outils adéquats. Résultat : pas un seul luminaire n’est aligné avec l’autre. C’est un petit détail tu vois, mais ça gâche tout. Quand tu veux vraiment avoir une ligne forte comme ici, dans ce cas-là il faut prévoir une réservation dans le béton ou il faut partir sur un autre projet d’éclairage que celui d’aligner des appliques. C’est d’autant plus dommage que des luminaires comme ça, de cette qualité, c’est 1 500 boules par luminaire. Quand tu claques 1500 euros par applique, c’est quand même dommage qu’elles soient pas alignées. Tu vois donc que faire un beau projet en béton, ça demande des connaissances, des concepteurs et des exécutants compétents, mais aussi une gestion de chantier parfaitement mise au point et même un peu de chance… C’est aussi ça la magie du béton : c’est toujours une surprise quand on décoffre… »

 
 
larchicolin
Colin Verney
larchicolin@gmail.com

Architecte en itinérance autour du monde, à la recherche de petites perles laissées par ses confrères.

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