Quartier des ambassades, Santiago. Pour fuir le soleil et la chaleur de la grande avenue Independencia, nous bifurquons dans une ruelle latérale qui semble nous appeler. Entre deux bâtiments aux façades pastel, plutôt classiques, un bâtiment nous fait de l’œil…
« Là, ce qui est très intéressant, c’est le travail de la brique. Bien qu’elle soit minérale, la façade prend un aspect très organique. Ce qui est beau c’est que ce n’est pas une brique industrielle, c’est une brique irrégulière, que l’on sent artisanale. C’est la poétique de l’irrégularité, de l’exception, mais qui dans un ensemble trouve sa cohérence. En façade, le calepinage est assez simple mais original à la fois. Les briques sont en forme de trapèzes et sont positionnées soit dans un sens, soit dans l’autre. Ça crée une espèce de rugosité de façade, et surtout un jeu d’ombres avec le soleil. La projection des ombres des tétraèdres en saillie donne un relief à la façade, qui pourrait faire penser aux écailles d’un reptile ou d’un Pangolin. C’est assez subtil. Il y a à la fois l’ombre et la matière. En sous-bassement on retrouve des briques classiques, qui forment un bandeau qui se retourne de manière verticale, sur le côté droit.
On reste dans la même échelle de maison que les maisons de ce quartier privilégié, avec ses maisons bourgeoises accolées. Il s’agit en fait d’une rénovation, et quand on voit l’ancienne façade sur Google Street View, on prend la mesure du travail accompli.
J’aime beaucoup la façade, irrégulière, qui est tramée dans ses ouvertures. Il y a un jeu avec les ouvertures : celles-ci sont disposées dans un sens, les autres dans le sens inverse.
Le traitement des menuiseries est également assez remarquable. Dans chaque menuiserie, on a une sorte de cadre périphérique assez épais qui forme le tableau des ouvertures. Comme un emporte-pièce en fait. De cette façade très rugueuse sortent des fenêtres très épurées, minimalistes. L’effet est réussi : d’un seul coup, de cette façade rugueuse sortent ces blocs de verre nickels, acérés et brillants, comme des cristaux sortant d’un bloc de lave brute. Les menuiseries sont travaillées dans la profondeur de la façade : on retrouve deux nus différents, qui soulignent l’épaisseur du bâti. Le vitrage qui vient mourir au bord du cadre le met bien en valeur et reforme comme un nouveau plan imaginaire.
- Comme un miroir d’eau vertical ?
- Oui, comme un plan théorique, celui du vrai nu de la façade, le nu zéro, tu vois. Une sorte d’enveloppe maximale, celle de l’épannelage, comme une réminiscence de l’archétyque du potentiel bâti. Ensuite dans la profondeur des fenêtres avec une allège vitrée basse, dont on ne voit pas les dormants. En fait tout le dormant est constitué par ces cadres en acier assez épais, qui doivent mesurer un peu plus d’un centimètre d’épaisseur. C’est un cadre architectonique, qui à la fois forme la structure ultra rigide et apporte une valeur « esthétique » par cet effet d’emporte-pièce. Ce sont des menuiseries qui sont absolument sublimes, dans le sens de la perfection, de la forme maîtrisée, et qui coexistent avec cette façade presque organique et minérale. Il y a une espèce de dualité que je trouve très réussie, et d’une grande radicalité.
- Et la porte ?
- La porte, on est dans une déclinaison des menuiseries. C’est une serrurerie avec un petit barreaudage. Etrangement, la porte je la trouve pas si… si exceptionnelle. Ce qui est intéressant c’est le travail de la grille qu’on retrouve sur les maisons à côté, une grille réinterprétée. Si, en fait c’est pas mal. Ce que je regrette un peu c’est le barreaudage des fenêtres du rez-de-chaussée, qui est un peu basique. Même s’il reprend le barreaudage des bâtiments à côté, les proportions de recoupement font que ça fait un peu carcéral… Et ça me coûte beaucoup de dire ça parce que je déteste quand les gens disent qu’ils n’aiment pas les barreaudages parce que ça fait prison... A un moment donné il faut peut-être se libérer de ce que font les bâtiments à côté… peut-être qu’il aurait fallu faire quelque chose de plus resserré verticalement, parce que là dans les proportions ça me rappelle du grillage pour bestiaux. Ou quelque chose dans le caractère qui du moins n’a pas la noblesse du reste du bâtiment.
- Et le fait que les briques ne descendent pas jusqu’en bas ?
- Ça c’est une bonne question. Moi ça ne m’aurait pas choqué de les faire descendre. Je ne sais pas s’il y a une raison technique à cela. Je trouve pas que ça apporte quelque chose de particulièrement intéressant. C’est traité en gris, comme les menuiseries.
- Le cheneau…
- Ce montant perpendiculaire
- Disons qu’il y a une poutre. On a l’impression que c’est structurel mais je suis sûr qu’ils auraient pu faire autrement... En fait c’est la seule chose qui m’a l’air un peu moins maîtrisée que le reste. Enfin si, je comprends ! Si on regarde bien, c’est même un détail assez intéressant. Si on regarde bien, le chéneau ne monte pas jusqu’à la rive de toiture. Ce qu’on prend pour une sorte de U de poutre, en réalité c’est une barbacane. C’est un système qui collecte l’eau et si jamais la descente d’eau est bouchée, l’eau ressort par cette barbacane. C’est intéressant pour deux raisons. La première c’est que c’est un système qui a une certaine intelligence dans le dessin car ça permet de savoir si la fuite vient de la toiture ou de la descente d’eau. Le deuxième intérêt, c’est que ça permet d’éviter le raccord disgracieux qu’on a toujours entre la descente d’eau et le chéneau qui se trouve au-dessus. Et dans ce cas, le chéneau est en retrait de la toiture, on le voit pas depuis la rue, il est plus bas en fait.
Le seul regret c’est que cette barbacane dans ses proportions est très haute et quasiment collée à la rive de toiture. On a l’impression que c’est une poutre, alors que ce n’est pas le cas, du coup on se demande ce qu’elle fait là. Là, comme ça, elle fait un peu fragile ; si elle avait été un peu moins haute, elle aurait été plus assumée. Après ils ont peut-être eu des contraintes techniques qui ont fait qu’ils en sont arrivé là…»
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